L’idée et l’envie de faire ce qu’on appelle communément un «tour du monde» sont assez répandues quand on a moins de trente ans, la vie devant soi et pas encore trop de contraintes pour pouvoir tout plaquer du jour au lendemain. Des paroles aux actes, des projets à leur réalisation, il y a souvent un pas qu’il faut savoir sauter pour pouvoir accomplir ce qui nous tient réellement à cœur.
Cela fait plusieurs années que je réfléchis à ce projet de départ, de voyage au long cours à travers le monde. Au commencement, il s’agit juste d’une idée un peu folle, d’un défi à soi-même qui naît devant une carte du monde et qui germe grâce à des récits de voyage et des photos sur internet. Au fur et à mesure, ça devient une évidence : se déplacer et vivre au contact des autres est une nécessité impérieuse, indispensable à mon enrichissement personnel. Après plusieurs séjours à l’étranger, l’envie ne me lâche plus, grandit encore, et le projet se précise petit à petit de plus en plus cohérent avec ma vision du monde. A partir de là, la décision est prise de partir en voyage pendant une année entière.
La plupart des personnes qui ont la chance de voyager le font pour découvrir de nouveaux horizons et s’enrichir de nouvelles cultures. Comme elles, je souhaite mettre à profit cette année particulière pour rencontrer des cultures différentes et partager le quotidien de gens qui vivent à l’autre bout du monde. Mais je souhaite également que ce projet soit le plus possible en adéquation avec mes idées et mes convictions.
En effet, mon voyage idéal serait un mélange équilibré entre découverte du pays et participation active à des projets locaux qui œuvrent pour le bien-être des personnes, afin de multiplier les rencontres et sortir du rôle de «simple touriste». Je fais mienne cette volonté de ne pas vouloir seulement profiter passivement de ce que nous offre un pays pour pouvoir échanger et partager le plus possible avec les personnes qui y vivent.
Il m’est également impossible d’envisager un tel périple sans penser à l’actualité mondiale faite de crises écologiques, économiques et financières qui touchent une large partie de la population. Mais je souhaite aller plus loin que simplement prendre conscience de l’impact écologique d’un tel projet. Je voudrais m’interroger réellement sur la place que j’occupe dans ce monde et aux possibilités que j’ai pour le faire évoluer. Pour cela je pense que remonter dans le temps peut être pertinent.
Au cours des XVIII et XIX ème siècles, la population européenne a connu une forte croissance qui a entraînée la colonisation du monde et l’implantation d’européens un peu partout sur le globe. Ces nouveaux migrants ont constitué en grande partie les peuples des nations nouvelles. Ils se sont identifiés comme étant les «Blancs» et ont réduit les premiers habitants à l’état de minorités dominées.
Je suis donc le descendant de cette majorité de “Blancs” qui a imposé ses valeurs politiques, économiques, culturelles et religieuses au reste du monde. Je suis un jeune homme, blanc, plus riche qu’une grande partie de l’humanité qui vit, travaille, profite des loisirs qu’il peut s’offrir sans se soucier de la faim, de la soif, du froid ou des catastrophes naturelles. Je suis un européen qui ne sera jamais qu’un touriste de plus en Afrique, en Asie ou au Moyen-Orient. La couleur de ma peau représente d’une certaine façon la richesse, la domination, l’asservissement, l’amour ou la haine viscérale de tout un système économique capitaliste, créateur de valeurs boursières et destructeur de son propre environnement. Mais je suis avant toute chose un citoyen du monde qui se sent concerné par l’avenir de sa planète et des hommes et femmes qui la peuplent. J’ai beau être issu de ce système majoritaire, j’aspire à un monde égalitaire débarrassé de toute ingérence et de toute autorité illégitime. Mais si je fais partie de la majorité dominante, quelles sont les minorités dominées ? Connaissons-nous réellement leur vie, leur histoire, leur culture ?
Tout d’abord, il me faut définir ce qu’est une minorité. Pour cela je me réfère au sociologue américain Louis Wirth. Ce dernier explique que la notion de minorité n’est pas statistique : une minorité peut être démographiquement majoritaire, comme dans les situations coloniales, mais elle se caractérise par l’expérience commune de traitements discriminatoires et stigmatisants, soit en raison du sexe, ou de l’origine (réelle ou supposé), ou du phénotype racialisé.
Ensuite, il me faut faire un choix intellectuel radical. Je ne peux résolument pas m’intéresser aux minorités sans me débarrasser de mon point de vue issu de la majorité. Je dois adopter un nouveau point de vue : celui des personnes que je souhaite rencontrer, avec lesquelles je souhaite échanger, partager, comprendre. Pour cela, il faut déjà que je me rende sur place et que j’ai l’opportunité de vivre à leur côté. Ce qui m’intéresse en premier lieu, c’est l’histoire de ces peuples minoritaires, mais l’histoire selon leur propre point de vue et pas celui des vainqueurs ou des conquérants. Car comme le rappelait Honoré de Balzac :
«Il y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des événements.»
Or, nous ne connaissons pas ou peu l’histoire secrète de ces minorités.
Mon but est d’approfondir notre connaissance du monde en écoutant ce qu’ont à nous raconter ces minorités : placer leur parole au centre, en faire des témoignages, un outil de connaissance des Hommes.
Car je pense que savoir d’où nous venons et connaître la diversité de nos racines, nous permet de mieux comprendre qui nous sommes.
