Il faut 7 heures à notre bus parti de Lviv pour rallier Khust dans l’Oblast (région) de Transcarpatie à cause de la route verglacée. C’est la fin novembre et le temps s’est considérablement rafraîchi. C’est pourtant le moment qu’on choisit pour aller faire du volontariat dans une ferme. Celle-ci se situe à une dizaine de kilomètres de Khust, non loin du village de Steblivka.
Saldobosh
C’est bientôt la fin de l’après-midi quand on repère la grande maison blanche à l’écart du village. Le rez-de-chaussée de cette grande bâtisse sert d’habitation pour les fermiers volontaires. Linda doit ramener les chevaux à l’étable avant que la nuit ne tombe. On pose nos sacs à l’intérieur et on l’accompagne aux prés pour qu’elle nous donne quelques informations sur le projet.
Le but de cette ferme est de préserver et de protéger des espèces locales en voie de disparition, et de permettre à terme leur réimplantation en milieu sauvage. Les plus nombreux et les plus importants ici sont les buffles des Carpates. Pour assurer la vie économique de la ferme, les bufflonnes sont traites, et le lait est vendu tel quel ou transformé en fromage.
Les chevaux sont des Houtsoules, du nom d’un peuple montagnard vivant dans les Carpates ukrainiennes. On trouve aussi des vaches, des veaux, un cochon, des lapins et un canard — Dagobert — qui connaîtra un funeste destin.
Un peu plus tard, nous rencontrons Michel, un trentenaire Allemand à l’origine et à la tête de ce projet depuis déjà 5 ans. Il nous demande quelles sont nos attentes et nos envies en tant que volontaires. Me retrouver à la campagne au milieu de la nature pendant quelque temps me semble une réponse convenable. On s’installe dans notre chambre et on prend nos marques.
Retour à la terre
Dans la maison, il n’y a ni chauffage ni eau courante et une seule lampe de chevet dans la pièce principale en guise d’électricité. L’isolation laisse à désirer. Les premières nuits sont glaciales dans notre chambre sans porte. Combien de temps a-t-on prévu de rester ici ?
Nos conditions de (sur)vie s’améliorent un peu quelques jours après notre arrivée, quand est mis en marche un deuxième poêle à bois dans le couloir. On place une vieille couverture de déménagement sur nos fenêtres pour inciter les vagues de froid nocturnes à faire demi-tour. On commence tout doucement à se sentir chez nous, et on réalise à quel point nos exigences en matière de confort ont évolué au cours de cette année de vadrouilles.
Bien dormir c’est un impératif pour pouvoir bien travailler. Et du travail il y en a par ici. Nos journées débutent vers 6 heures avec la traite du matin et la sortie des chevaux pour les prés.
Après les bufflonnes viennent les 2 vaches, Bouclette et Elsa, et le petit-déjeuner vers 8 h 30 à base de polenta. Le reste de la journée se passe au nettoyage de l’étable, à la coupe du bois pour le chauffage, à la fabrication des fromages et tous travaux qui peuvent se faire de jour dans une ferme avec autant d’animaux. Le soir est de nouveau rythmé par le retour des chevaux et par la traite, mais des bufflonnes uniquement. Après le dîner, il ne nous reste pas beaucoup d’énergie et la maisonnée s’éteint gentiment peu après 21 heures.
Vivre ensemble
Dans un projet de ce type, pour que tout le monde s’y retrouve, il faut un minimum d’organisation et d’entente entre les participants. Michel a voulu faire de ce lieu un espace ouvert où les gens doivent apprendre à vivre ensemble tout en gérant le fonctionnement d’une ferme de cette importance. On se répartit les tâches en fonction de nos compétences et de nos envies. On discute des choses à faire, de celles qui peuvent être améliorées et des perspectives d’avenir de ce projet. On s’installe peu à peu dans le quotidien d’une vie à la campagne et nos journées sont bien remplies. Tout ça nous plaît beaucoup, à tous les 2.
On n’a pas le temps de se projeter dans l’après de ce voyage de plus d’un an quand on doit penser au jour le jour. Notre énergie est constamment sollicitée entre les tâches physiques à accomplir et les problématiques du « vivre ensemble ». Qui ne posent d’ailleurs aucun problème, vu les personnalités de chacun et la volonté commune de partager de bons moments, de s’écouter, de se soutenir et de s’apprécier.
On a tous des parcours différents qui ne nous auraient peut-être pas permis de nous rencontrer ailleurs que dans cette ferme de Steblivka, mais on a tous l’envie de contribuer au mieux au développement de ce projet qui porte en lui des valeurs qui nous ressemblent.
Grâce au partage qui s’opère entre les gens ici, on oublie de trouver pénible de devoir aller chercher de l’eau à la pompe située à 30 mètres de la maison et qu’on doit dégeler après des nuits à -10 °C !
La latitude des chevaux
Pour que la vie en communauté soit toujours une source d’enrichissement, il faut s’aménager des instants de repos, de courtes évasions loin de la pression, parfois sournoise, du collectif. Très vite, j’ai été en charge d’accompagner les chevaux aux prés et de les en ramener.
Mes sorties quotidiennes en solitaire m’ont offert ces bouffées d’oxygène indispensables à mon équilibre. Le matin, je poursuivais mon réveil tout en douceur en les escortant tranquillement à l’extérieur de l’étable. Quand la météo était favorable, j’admirais le soleil qui commençait sa journée après moi sortir des montagnes pour éclairer la prairie enneigée. Le soir, le spectacle était parfois grandiose.
Après une marche plus ou moins longue pour repérer les équidés, je rassemblais le troupeau de 15 têtes pour rentrer à la ferme dans la lumière magique d’un coucher de soleil. Au fur et à mesure, ces animaux se sont habitués à ma voix et à mes sifflements, si bien que je n’ai plus eu besoin de courir pour les faire rentrer.
Vers 15 heures, je sifflais la fin de la récré et à 15 h 30, tout ce joli monde avait réintégré l’étable, juste avant que l’obscurité n’envahisse la campagne des Carpates.
Ce retour dans la nature avec des chevaux et un ciel parfois magnifique me ramène forcément en Mongolie, avec un brin de nostalgie, déjà… Cette promesse éventuelle d’assister à pareil spectacle était en tout cas suffisante pour me tirer du lit tous les matins.
La campagne, c’est romantique
Des chevaux, un berger et des prés : on est en plein cœur de tout ce que définit le mot bucolique. On cultive cet état de fait chaque fois qu’on en a l’occasion. Le remplissage d’une carriole de foin se pare des attributs d’une aventure (ou corvée, au choix) d’un autre temps.
On n’a même pas besoin de forcer le trait puisque la vie est comme ça dans cette campagne ukrainienne. L’ancien kolkhoze laissé à l’abandon comptait 1800 travailleurs à l’époque de sa pleine activité. Maintenant, les gens se débrouillent comme ils peuvent avec ce qu’ils trouvent. Les pouvoirs administratifs sont quasi inexistants, mais il faut continuer à vivre avec les autres à défaut de vivre ensemble. Les personnages atypiques sont nombreux dans cette campagne située aux portes de l’Europe. Baba Kristina, la grand-mère qui aurait eu 5 maris, côtoie les gitans éleveurs de porcs.
Au sommet de la hiérarchie se trouve le seigneur de ces terres : Valery qui fait office de maire ou de grand patron, au choix. Ivan, notre voisin forcément alcoolique, est son ami tandis que Mikhaïl qui garde ses brebis et ses chèvres est réduit au rang d’esclave moderne. Au milieu de ces relations dont la complexité nous échappe parfois, il y a Mischka, le berger des buffles de la ferme qui nous prodigue des conseils bien utiles entre deux cuites. La campagne, c’est romantique, mais la réalité est parfois bien plus dure que les clichés.
Quelques images
Pendant ce temps, la vie suit son cours dans notre ferme et le moral reste au beau fixe. Avant que la nature n’enfile son manteau blanc pour passer l’hiver au froid, on a fait quelques images pour que Michel et Linda aient un support vidéo afin de présenter leur activité commerciale autour de la traite des buffles et des produits laitiers qui en découlent. Tourné et monté en 3 jours, avec les moyens du bord, l’aide du soleil et la participation des volontaires, voici le résultat pastoral, dont on est assez fiers :
Nouveau départ
Notre mois à Steblivka s’est écoulé rapidement, sans qu’on s’en rende compte. Un peu comme cette année de tribulations autour du monde. Le temps qu’on a passé ici nous a fait le plus grand bien.
La simplicité de la vie campagnarde nous a permis de ralentir davantage le rythme du voyage, la dictature de la route, des arrivées et des départs incessants. On n’imaginait pas passer autant de jours ici quand on est arrivés, mais à l’heure du départ vers d’autres horizons plus francophones, ce mois paraît bien court.
On entrevoit le bout de ce chemin qu’on a débuté tous les deux il y a plus d’un an, mais qui ne constitue en rien une fin : ce sera, à n’en pas douter, un nouveau départ…
Liens
Le site du projet sur lequel vous trouverez des informations complémentaires.
Notre profil Viméo sur lequel vous retrouverez, entre autre, la vidéo pour la ferme.